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Compte rendu de la master class de Sunao Katabuchi au Studio des Ursulines

Par le :: Manifestations

films , 2017

Le long métrage Dans un recoin de ce monde est projeté dans les salles de cinéma en France depuis le 6 septembre 2017. À cette occasion, son réalisateur Sunao Katabuchi a fait le déplacement et jeudi soir, il a tenu une master class au cinéma le Studio des Ursulines dans le 5e arrondissement de Paris. Par master class, comprenez 1h30 de conférence suivie d'une demi heure de questions réponses avec le public.

Jusqu'à présent, j'étais uniquement allés à des séances spéciales de rencontres avec un réalisateur dans le cadre d'un work in progress avant même les premières projections. Là, c'était un peu spécial car le film est sorti mais que le temps est uniquement réservé à la rencontre. La formule me convenait très bien car j'avais déjà pu voir le long métrage en juin dernier. Ma seule réticence est d'avoir finalement payé plus cher pour revoir le réalisateur que pour visionner son film au Forum des Images. J'avais vu Sunao Katabuchi lorsqu'il était passé à Paris en 2001 pour la projection de son premier long métrage Princesse Arete. J'en profite pour vous rappeler que son premier film sort aussi en Blu-ray et DVD chez @Anime, le 20 septembre prochain.

Sunao Katabuchi

Pour revenir à la master class, Sunao Katabuchi était coincé installé entre l'écran et la première rangée de siège dans la salle avec son ordinateur connecté pour pouvoir partagé son contenu sur l'écran de cinéma. Ses propos était traduit par Ilan Nguyên, un des grands spécialistes de l'animation, qui accompagnait le réalisateur pendant dans sa tournée. Je ne retranscrirai pas la conférence de manière forcément chronologique et si j'entendais bien Sunao Katabuchi au micro, bizarrement c'était plus difficile de suivre Ilan Nguyên au début. Cela s'est  arrangé par la suite, à moins que je me sois habitué à l’acoustique.

Le réalisateur a d'abord commencé par mentionner son envie immédiate d'adapter le manga de Fumiyo Kôno, qu'elle a scénarisé et dessiné en 2008, dès qu'il l'a lu en 2010. Les deux tomes sont aussi sortis en 2013 chez Kana et doivent ressortir en coffret le 22 septembre.

Ensuite, il a été surtout question des recherches effectuées par l'équipe pour se documenter sur les lieux à l'époque des années 30 et 40, à Hiroshima et à Kure où se déroule le récit. Visiblement, ils n'ont pas pu travailler avec la mangaka les premiers mois du projet et ils sont reparti du seul matériel qu'ils avaient sous la main, à savoir le manga.

Dans la toute première case, la protagoniste principale, Suzu, est dans une allée le long de panneaux d'algues séchés. Il est habituel de reprendre des paysages qui existent vraiment et ce manga ne fait pas exception. L'inverse est en fait plus rare et je me souviens de l'intervention d'un scénariste français qui avait eu du mal à travailler avec un dessinateur japonais. La scène se situait à Paris et il fallait placer une ruelle imaginaire mais cela n'allait pas aux yeux de l'artiste nippon car la ruelle n'existait pas en vrai.

Dans un recoin de ce monde

L'équipe du film a retrouvé l'endroit exacte de la première case du manga avec des photos quasi d'époque qui montre le même agencement des lieux. La première scène du film part de ce même dessin et le soucis était d'avoir une vue complète alors qu'elle est coupée dans le manga par les limites de la case. Le plan dans le film est plus large et il fallait connaître les bâtiments plus au loin et ce qu'il y avait au premier plan, pour respecter la même authenticité suivie par le manga.

Les photos prises aux emplacements actuels présentent un environnement complètement changé  et même entre 2 visites du réalisateur, des éléments d'époque ont disparu et il a donc fallu se référer à des clichés antérieurs. L'investigation est même allée jusqu'à interroger les habitants des maisons pour recueillir leur témoignage. La somme de documents rassemblée est impressionnante et Sunao Katabuchi a partagé une photo de 1934 prise pendant la construction d'un des immeubles absent dans le manga mais qui apparaît dans le plan large du film.

Sunao Katabuchi

Sunao Katabuchi a aussi assisté au processus traditionnel de séchage des algues dans la région de Hiroshima et pris quelques photos des fameux panneaux utilisés. Un connaisseur lui a appris que la caractéristique locale est d'utiliser des panneaux avec 7 niveaux, alors que le dessin sur la première page du manga montre des panneaux avec seulement 6 panneaux. En revanche, en consultant des passages plus loin, où on revoit des panneaux de séchage, vous pouvez constater que Fumiyo Kôno met bien 7 carreaux. La même personne experte a du conseiller la mangaka qui a rectifié le tir dans ses dessins. Du coup, l'équipe de film a appliqué le bon nombre de carreaux sur les panneaux de séchage dès la première scène.

Pour résumer, le niveau de détails et le travail de recherche est impressionnant, avec déjà 15 à 20 minutes d'introduction et d'explication rien que sur la première scène tirée de la première case du manga. La conférence n'a pas enchaîné par l'analyse de la 2e scène du film mais il est vraisemblable que le même type de travail de recherche a été produit pour chacune d'entre elles. Si elle a respecté la réalité historique, Fumiyo Kôno a pris le point de vue de ses personnages sans passer par une narration objective pour restituer à chaque fois les détails des événements et les lieux, dont les informations font donc défaut dans le manga.

Dans un recoin de ce monde

Vue de l'extérieur, la tâche aurait pu être simplifiée en dérangeant plus en amont la mangaka qui a aussi du faire les recherches pour ses dessins et elle aurait aiguillé tout de suite vers les bons endroits, même si elle n'avait sans doute pas les moyens d'investiguer de manière aussi poussée. D'un autre côté, j'ai senti chez le réalisateur beaucoup de plaisir et de fierté pour avoir fait ces tâches et le seul fait que la conférence tourne autour de ces recherches historiques le démontre. Cela permet également de mieux s'imprégner de l'ambiance de l'époque et de ressentir au plus près ce que les protagonistes ont vécu.

Dans ce cadre, les gens autour du film ont aussi testé un atelier pour fabriquer les sandales à l'ancienne à partir de paille ou pour essayer les recettes de fortune à base de racine de pissenlit et autres radis blancs. Sunao Katabuchi a retenu a goût très amer des aliments mais il a pu faire se faire une idée des résultats en vrai de recettes qui n'ont rien de traditionnelles et qui ont été inventées par les personnages dans les circonstances de la guerre.

Un autre exemple documentaire que je retiens est la représentation du pont Aioi sur la rivière Ôta à Hiroshima. Le récit suit Suzu depuis son enfance jusqu'à l'âge adulte, et dans le manga elle passe à deux reprises sur un pont, à Hiroshima. Les scènes sont séparées de plusieurs années et la question était de savoir s'il s'agissait du même endroit ou pas, alors que le pont semble complètement différent.

Dans un recoin de ce monde

Sunao Katabochi a présenté des photos d'avant-guerre où en fait il y avait encore deux ponts en parallèle dans les années 30. Le premier, en forme de L, reliait les rives de la rivière à un îlot central et était doublé par le pont Aioi plus large. Le pont en L a été supprimé et l'accès à l'îlot a été remplacé par une rampe perpendiculaire depuis le pont Aioi. Encore une fois, les dessins de Fumiyo Kunô ont reproduit cette évolution avec d'ailleurs la vue des deux ponts dans la première scène et un seul dans la deuxième.

La réalisateur japonais a rappelé qu'avec sa forme reconnaissable en T et sa position au centre ville, le pont Aioi a servi de cible pour le bombardier Enolay Gay lors du bombardement atomique du 6 août 1945. Dans une des scènes du manga qui se déroule sur le pont, on reconnaît d'ailleurs le fameux Genbaku Dome dans le paysage.

Aborder la bombe atomique n'a certes pas été le passage le plus joyeux de la conférence mais là encore, le réalisateur a tenu a montré le travail de recherche pour représenter le nuage champignon et sensibiliser à quelques uns de ses aspects. Il a d'abord insisté sur sa taille immense avec une hauteur de 16 kilomètres et une inclinaison de 40° qui lui faisait couvrir les régions alentours dont la ville de Kure, épargnée par les impacts directs de la bombe mais qui a du subir cette présence imposante. Un autre aspect oublié a été la durée persistante de ce nuage. Les photos prises a son apogée l'ont été 4 heures après l'explosion et le nuage a perduré encore de longues heures après. 

Sunao Katabuchi        

Comme Fumiyo Kôno avant lui, le réalisateur a pris le parti de représenter les différentes scènes du point de vue des acteurs qui les vivent au quotidien à l'époque. Ce point est essentiel et différencie le long métrage d'un documentaire malgré le soin apporté pour respecter la réalité historique. Cela a permis aux témoins encore vivants de cette période de replonger dans leurs souvenirs et dans l'ambiance. Au Japon, un public très âgé a assisté aux projections du film.

Sunao Katabuchi a insisté sur cette vision intérieure qui supplante les regards extérieurs et a pris pour exemple la scène où Suzu assiste au passage du super cuirassé Yamato. Un documentaire aurait accompagné le plan avec une marche militaire mais là, ce n'est pas du tout le cas et pour coller à l'image que Suzu se fait dans sa tête, c'est une musique poétique qui illustre la scène. Cette vision intérieure des personnages versus le regard extérieur objectif est un peu le credo du réalisateur dans ses longs métrages.

Dans le recoin de ce monde

Il a confirmé que Fumiyo Kôno n'a pas utilisé de modèle particulier pour bâtir le personnage complexe de Suzu, qui s'est imposé au fil de construction de l'histoire. En revanche, il a rapporté que la mangaka avait repris les traits de sa tante pour composer Keiko, la belle soeur au caractère difficile mais comme il le dit "la tante n'est pas au courant donc tout va bien".

Pendant sa conférence à Japan Expo l'été dernier, le producteur Masao Maruyama a dit à quel point il avait été difficile de réunir des fonds pour le projet Dans un recoin de ce monde. À une question sur le crowfunding, Sunao Katabuchi est revenu sur le but premier de l'opération qui consistait à montrer que des gens étaient intéressés et ont donné du crédit au film pour convaincre les investisseurs institutionnels de s'engager également. Il est surtout heureux de la reconnaissance obtenue par son film qui a atteint les 2 millions de spectateurs au Japon et qui connaît une distribution en salle à l'étranger.

Si j'ai bien compris, le réalisateur a empêché son producteur de multiplier les vagues de crowfunding malgré le succès de l'opération et je ne crois pas qu'il ait répondu à la question qui était se savoir s'il pensait passer sur une plate-forme internationale pour permettre les levées de fond hors du Japon. Il compte en revanche sur le bouche à oreilles des spectateurs pour entraîner d'autres personnes à voir son film.

Je m'intéresse aux oeuvres de Fumiyo Kôno depuis que la mangaka a participé à l'opération Planète Manga au centre Pompidou en 2012, où elle avait tenu une conférence et procédé à une séance de dédicaces. J'ai été conquis par son manga Dans un recoin de son monde et j'ai surveillé la concrétisation du film depuis que j'ai vu le projet d'adaptation être abordé par Sunao Katabuchi sur son compte Twitter. Il va sans dire que c'était la sortie cinéma que j'attendais le plus en France, une fois qu'elle a été annoncée. Je vous recommande chaudement d'aller voir le long métrage si vous en avez la possibilité, et vous pouvez consulter sa revue dans l'encyclopédie d'Animint si vous voulez plus de détails et d'arguments.

Sunao Katabuchi

La master class était conviviale avec un intervenant qui n'hésite pas à faire quelques plaisanteries au cours de son discours pas toujours joyeux cependant. Il a l'habitude de l'exercice et au Japon, il devait tenir 3 heures et il avait donc bien d'autres sujets en réserve tels que les habits. Si les questions ont permis d'aborder des thèmes plus généraux telle que la place de la technique numérique ou l'apport des musiques, j'ai trouvé dommage que le corps de la conférence soit aussi centrée sur les recherches historiques qui différencient assez peu le film du manga finalement.

J'aurai préféré plus d'éléments sur l'adaptation en animation par exemple. Il a été question du problème de plan avec les paysages mais je n'ai pas entendu le réalisateur insister sur des difficultés similaires pour la mise en scène. En tout et pour tout, il n'y aura eu qu'un extrait du film pendant la conférence avec la scène du Yamato. Cela aurait été pas mal d'avoir ses commentaires sur d'autres séquences qui lui tiennent à coeur, pour varier un peu. D'un autre côté, ceux qui n'avaient pas encore vu le film ne pourront pas se plaindre d'avoir été spoilés.

Dans un recoin de ce monde

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